Le Syndrôme de l’Intestin Irritable : Maladie Multifactorielle et souvent mal comprise
Lors d’un webinaire organisé le 9 décembre par l’APSII, le Professeur Sabaté, gastro-entérologue à l’hôpital Avicenne à Paris, a approfondi le sujet du syndrome de l’intestin irritable (SII). Ce trouble fonctionnel digestif est largement méconnu, souvent banalisé, et trop souvent réduit à des idées fausses. Voici un compte-rendu détaillé des points abordés.
Symptômes et Critères de Rome
Le SII est défini selon des critères précis, notamment ceux de Rome IV :
- Douleurs abdominales chroniques et récurrentes.
- Ballonnements.
- Troubles du transit intestinal : constipation, diarrhée ou alternance des deux.
D’autres symptômes peuvent être associés, comme le reflux gastro-œsophagien, bien que ce ne soit pas systématique.
Prévalence :
- Environ 4,2 % des personnes sont diagnostiquées selon les critères de Rome IV.
- Les autodiagnostics, eux, atteignent 15 % de la population.
Un Trouble Multifactoriel, Pas « Dans la Tête »
Le SII est une maladie multifactorielle impliquant des mécanismes biologiques complexes, et non une maladie psychologique.
- 1/3 des personnes ont des douleurs digestives qui peuvent générer de l’anxiété.
- 2/3 des personnes avaient déjà des troubles anxieux avant de développer un SII.
Causes possibles du SII :
- Hypersensibilité viscérale : Douleurs accrues même en l'absence de lésions visibles.
- Troubles de la motricité intestinale : Impact sur le transit (constipation ou diarrhée).
- Perméabilité intestinale accrue : Un "intestin perméable" permet à des toxines de passer, générant une inflammation de bas grade.
- Dysfonctionnement immunitaire : Rôle des mastocytes et autres cellules.
- Mauvaise communication cerveau-intestin.
Diagnostic : Une Maladie Sans Biomarqueur
Le diagnostic repose sur une anamnèse complète incluant :
- La recherche de symptômes typiques.
- L’exclusion de maladies organiques (perte de poids, antécédents familiaux de cancer colorectal, etc.).
Aucun test biologique spécifique (coloscopie, analyses de sang ou d’urine) ne permet de confirmer un SII. Une analyse de selles peut être demandée, notamment pour évaluer le microbiote.
Pour évaluer la sévérité des symptômes, le score de Francis est utilisé.
Prise en Charge : Approches et Efficacité
Le SII ne dispose pas de traitement curatif, mais des stratégies existent pour réduire les symptômes.
Statistiques sur les approches thérapeutiques :
- 48 % des patients trouvent une amélioration avec des ajustements nutritionnels.
- 29 % rapportent un bénéfice avec des médicaments.
- 23 % bénéficient d’un soutien psychologique.
Les Grands Principes :
- Hygiène de vie : Dormir suffisamment, gérer son stress, pratiquer une activité physique régulière.
- Nutrition : Régime pauvre en FODMAP (efficace chez 50 % des patients, mais à encadrer).
- Médicaments :
Antispasmodiques (contre les douleurs).
Gabapentinoïdes pour les douleurs de type brûlure.
Huile de menthe poivrée (Colpermin), efficace si elle traverse l’estomac intacte.
Fibres solubles comme le psyllium (mais pas de laxatifs irritants ni de morphine).
Thérapies complémentaires :
- Rééducation abdominale et kinésithérapie viscérale : Ces approches aident à renforcer la sangle abdominale et à réduire les distensions et tensions viscérales.
- Hypnothérapie digestive : Réduction des douleurs chroniques.
- Probiotiques spécifiques : Certaines souches ciblées peuvent être utiles.
Faux Mythes sur le SII
Le Professeur Sabaté a démystifié plusieurs idées reçues :
- Ce n’est pas une maladie héréditaire ni due à une carence enzymatique.
- Le SII ne dégénère pas en cancer.
- Ce n’est pas une maladie incurable, même si elle est chronique.
- Le SIBO (prolifération bactérienne de l’intestin grêle) peut être un mécanisme sous-jacent, mais ce n’est pas systématique.
Impact sur la Vie Quotidienne
Le SII est un handicap invisible qui peut avoir un impact majeur sur la qualité de vie :
- Vie professionnelle : baisse d’efficacité, absentéisme.
- Vie familiale : Le conjoint est autant affecté psychologiquement qu’en cas de maladies graves (impact multiplié par 3).
- Jeunes : Performances scolaires et sociales diminuées, absences fréquentes.
- Vie intime : Une sexualité souvent altérée.
Enjeux Actuels et Recherches à Venir
-
Étude sur le microbiote intestinal (French Gut) :
Une grande étude démarrera début 2025 pour les personnes souffrant de SII, afin de mieux comprendre le rôle du microbiote dans cette maladie. Les inscriptions débuteront en janvier 2025. -
Transplantation fécale :
Bien qu’elle suscite de l’espoir, cette approche reste au stade expérimental, avec des résultats encore peu probants. -
L’endométriose et le SII :
Cette maladie gynécologique pourrait être un facteur d’hypersensibilité viscérale, mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour établir un lien direct. -
Troubles thyroïdiens et transit intestinal :
Une mauvaise régulation thyroïdienne (hyperthyroïdie ou hypothyroïdie) peut altérer le transit et doit être éliminée avant d’établir un diagnostic de SII.
Conclusion
Le syndrome de l’intestin irritable est une maladie complexe, mais les avancées dans la compréhension de ses mécanismes, notamment au niveau du microbiote et de l’axe cerveau-intestin, ouvrent la voie à de meilleures prises en charge. Bien que la guérison totale ne soit pas encore possible, une approche multidisciplinaire et personnalisée peut significativement améliorer la qualité de vie des patients.
Message clé : Consultez votre médecin généraliste pour un suivi adapté et n’hésitez pas à explorer les solutions nutritionnelles, psychologiques et complémentaires disponibles.